L'Acémaphone Sgubbi
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Un magnétophone oublié...
Internet réserve toujours des surprises... Ce fut le cas le cas avec deux e-mails , reçus en 2008, renfermant les photos d'un magnétophone dont je me souvenais et qui s'appelait "l'Acémaphone Sgubbi". Le premier mail venait d'un internaute qui avait hérité de cette véritable "merveille historique"(mais on trouve parfois des merveilles dans certains vide-greniers des villages de France...!).
Fig. 1 - Magnétophone Acémaphone Sgubbi fabriqué en France par Yves Sgubbi.
Dimensions : environ 320 x 220 mm pour une hauteur de 155 mm.
(Photo Serge Desbiolles)
Le deuxième courriel était encore plus étonnant ! Il était signé Yves Sgubbi... (?). D'ici à penser qu'il s'agissait du créateur de cet appareil conçu en 1949, il n'y avait qu'un pas à franchir mais ce n'était que le petit-fils de celui qui avait réalisé l'Acémaphone et qui s'étonnait que l'on ne parle plus de l'appareil de son Grand-père ! L'entraînement de la bande se faisait par un moteur de tourne-disque Thorens dont on voit la manivelle de remontage sur le côté droit (celle-ci a dû beaucoup servir car on constate que le manchon de bois à son extrémité est bien usé !). Yves Sgubbi est décédé en 1985. Mais son fils et son petit-fils portent tous le prénom "Yves".
La société "Acéma" :
Yves Sgubbi a donc créé la société "Acéma" à Paris après la guerre et comme le magnétophone commençait à se développer, il eut l'idée de construire un portable autonome dont il n'existait pratiquement pas de modèle à la fin des années quarante. En 1948 et 1949 il acheta des moteurs à manivelle Thorens destinés à l'origine aux phonographes et utilisa des lampes miniatures pour la partie électronique comme ce fut le cas aussi pour le Nagra I de 1951 (on pourra se reporter à la page du "nagra"). On voit très bien, à droite et à gauche sur la figure 2, les huit lampes maintenues en place par des chapeaux métalliques attachés par un ressort de chaque côté. Dès le premier modèle de l'Acémaphone, Yves Sgubbi avait prévu un appareil de mesure à aiguille placé sur la face avant pour permettre un meilleur contrôle du niveau d'enregistrement.
Fig. 2 - Intérieur du premier modèle de l'Acémaphone.
(Photo Yves Sgubbi)
À partir de 1950, l'Acémaphone Sgubbi fut vendu dans le commerce et son petit fils, Yves Sgubbi, a retrouvé une facture des "Actualités françaises" qui concernait l'achat d'un appareil. Le modèle SPM-58 n° 216 (que l'on voit sur la photo 1) avait été acquis par l'Unesco pour la radio du Laos dont c'était évidemment le seul appareil autonome dans ce pays, où il a servi pendant une dizaine d'années (il avait été "tropicalisé" en prévision du climat). Les lampes étaient alimentées par des piles sous 1,5 volt avec une haute tension de 90 volts. Sur la figure 3, on voit à droite, dans le logement des piles, le convertisseur DC/DC fabriqué par Serge Desbiolles. Il a été ajouté en 2008 pour faire fonctionner l'appareil de la figure 1 puisque l'on ne trouve plus de piles de 90 volts. Ce SPM-58 fonctionne encore avec une bande passante assez étendue pour l'époque (environ 60 - 8 000 hertz) et un bruit de fond faible.
Fig. 3 - Intérieur de l'Acémaphone SPM-58 n° 216.
Photo Serge Desbiolles
Sur la face avant (Figure 4), on dispose de l'interrupteur arrêt-marche, de la prise "micro" et du contacteur permettant de choisir entre : "enregistrement", "Direct", "arrêt", "contrôle du voltage" (avec le choix par un deuxième contacteur entre la pile de 90 volts, celle de 1,5 volt et le niveau de la modulation) et, pour terminer, "reproduction". À gauche, on trouve le bouton de réglage du niveau de la modulation de 1 à 8 (avec la position minimale indiquée -60 dB). La sortie "ligne", prévue pour deux fiches "bananes", est placée à droite ainsi que la prise casque.
Cet appareil des années cinquante était déjà complet, bien qu'autonome,
et on pouvait le porter pour faire des reportages sans avoir des muscles de lutteur ou de "fort des halles"... !
Fig. 4 - Face avant du SPM-58 n° 216.
(Photo Serge Desbiolles)
Mais à l'apparition des premiers semi-conducteurs au milieu des années cinquante , Yves Sgubbi a très vite pensé les utiliser et il a réalisé un prototype en se servant de son premier modèle pour la partie mécanique (Figure 5), avec un nouveau moteur Thorens. La consommation des lampes est en effet très importante dans le cas d'un appareil autonome alors qu'elle est plus faible avec les transistors, ce qui accroît la durée possible d'utilisation tout en supprimant la haute-tension nécessaire.
Fig. 5 - Prototype à transitors
(Photo Yves Sgubbi)
L'apparition du Nagra I en 1951 et la diffusion - grâce à Jean Thévenot - de l'enregistrement du Bourdon de Notre-Dame de Paris effectué depuis le haut des tours par Stefan Kudelski auquel fut attribué un premier prix à un Concours d'enregistrement organisé par la radio (concours qui s'est appelé par la suite le CIMES : Concours International du Meilleur Enregistrement Sonore), éclipsèrent peut-être le succès des autres appareils portables des années cinquante. Le Nagra I et ses successeurs firent sensation. Mais le développement des magnétophones autonomes de qualité, supprimant la nécessité d'utiliser de longs câbles pour relier les micros aux appareils d'enregistrement lourds et encombrants qui se trouvaient dans les voitures et les camions "son", amena les techniciens français à se mettre en grève car cela risquait de faire disparaître de nombreux emplois. Le "reporter", assisté seulement d'un preneur de son - et même seul dans certains cas - pouvait dorénavant effectuer une interview avec un matériel léger et facilement transportable. On obtenait ainsi un document prêt à être monté et diffusé sur les antennes aux moindres frais !
On sait aujourd'hui qu'avec les progrès des techniques sonores et l'arrivée du numérique, n'importe qui peut faire des reportages avec des appareils très petits, légers, dont la qualité est presque équivalente à celle d'un modèle de "studio". Il ne faut pourtant pas oublier ceux qui ont ouvert la voie il y a plus de cinquante ans en construisant les premiers appareils autonomes qui faisaient l'admiration des ingénieurs du son de l'époque. La science est toujours en perpétuelle évolution dans le but d'atteindre une "perfection" à laquelle elle n'arrivera probablement jamais. Car en ce monde, rien n'est parfait. Mais on peut s'en approcher.
Fig 6 - Le SPM-58 Acémaphone Sgubbi des années cinquante (on notera que la bande défile de droite à gauche alors que les différentes commissions techniques de normalisation décidèrent d'adopter par la suite un défilement de gauche à droite, piste haute enregistrée dans le cas d'un "deux pistes").
(Photo Serge Desbiolles)
C. Gendre (oct. 2008)
avec le concours de Serge Desbiolles et Yves Sgubbi pour les photos et les renseignements donnés.
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