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Deux génies disparus...

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Cette page, destinée à tous ceux qui aiment la musique, va évoquer la vie trop courte de deux grands musiciens :
Jehan Alain, mort au champ d'honneur à 29 ans. C'était le frère de Marie-Claire Alain qu'il est inutile
de présenter tant sa renommée est internationale,
et Scott Stonebreaker Ross, appelé plus simplement Scott Ross, mort du Sida à 38 ans,
  qui fut le plus célèbre claveciniste du XXe siècle.  

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Décès de Marie-Claire Alain

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C'est dans la nuit du lundi 25 au mardi 26 février 2013 que cette très grande artiste est décédée
à l'âge de 86 ans. Née le 10 août 1926, elle était le dernier enfant d'Albert Alain et de Magdeleine Alberty
et fut élevée, dès son plus jeune âge, dans une ambiance musicale permanente.
Je garderai d'elle le souvenir de ce dîner dans une petite auberge de Zollikofen, en Suisse,
après le concert qu'elle avait donné dans l'église réformée dont le
titulaire du très bel orgue, François Gerber, était un ami.


                 
(Photo C. Gendre)

  Alors qu'elle avait enthousiasmé les personnes présentes par
sa virtuosité, la clarté de son interprétation et sa sensibilité pendant le concert,
qu'elle termina comme d'habitude par "Les Litanies"
en hommage à son frère
Jehan Alain dont nous parlons ci-dessous,
elle fut d'une telle simplicité et d'une telle gentillesse pendant le repas que tout le monde oublia
que l'on était en présence de la plus célèbre organiste du 20e siècle, ayant donné plus de
2500 concerts dans sa vie et enregistré plus de 280 disques noirs et CD,
que les américains appelaient familièrement
"The first Lady of the organ".
Le meilleur hommage que l'on puisse lui rendre c'est d'écouter ses enregistrements
et de lire le livre de sa fille Aurélie Decourt dont la couverture porte
la photo de l'orgue construit par son père sur lequel elle commença à jouer.
Elle restera ainsi toujours dans nos mémoires...
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Jehan ALAIN, premier fils d'Albert Alain et de Magdeleine Alberty, est né le 3 février 1911. Il eut par la suite deux soeurs  (Marie-Odile et Marie-Claire) et un frère (Olivier). Très vite, il fut appelé dans sa famille  "Le génie qui bondit en avant des autres...".
Son père, Albert Alain, était organiste, mais aussi professeur, compositeur (499 numéros d'opus) et musicologue. Un livre remarquable, paru récemment aux éditions Hermann musique à Paris, a été écrit par Aurélie Decourt, agrégée d'histoire, qui est la fille de Marie-Claire Alain :

livre Alain Sous le titre "Une famille  de musiciens au XXe siècle", il retrace la vie de cette famille qui a vécu depuis les premières années du XXe siècle au 46 rue de Pologne, à Saint-Germain-en-Laye. Ce fut très rapidement le rendez-vous des passionnés de musique d'orgue car Albert Alain, facteur d'orgue amateur, décida de construire un instrument dans l'une des grandes pièces de sa maison. Pendant soixante années (1908-1968), il perfectionna son org
ue pour en arriver, en 1950, à disposer d'un instrument de 4 claviers et de 39 jeux, qui passa à 42 jeux en 1968, date à laquelle, alors âgé de 88 ans, il n'eut plus assez de force pour l'entretenir et l'accorder.

Pendant plus d'un demi-siècle, le "Salon musical" de la "maison du 46" devint une ruche sonore dans laquelle les enfants Alain ont passé toute leur enfance, au milieu des amis musiciens, des élèves et des organistes connus comme André Marchal. À l'âge de 13 ans, Jehan Alain pouvait déjà remplacer son père à l'orgue de l'église de Saint-Germain-en-Laye. Aurélie Decourt, dans son livre, rappelle que "l'orgue du "46", comme les "Alain" l'appelaient pour le distinguer des autres instruments qu'ils jouaient régulièrement, tient la première place dans cette histoire familiale...(cit.)". On ne peut que conseiller cet ouvrage qui retrace l'histoire de chacun des membres de cette famille.

Dans sa courte vie, Jehan Alain a composé 143 oeuvres : pour orgue mais aussi pour piano, chant, choeurs et différents instruments. Son oeuvre la plus célèbre, jouée et enregistrée dans de nombreux pays, est naturellement "Les Litanies" pour orgue, que Marie-Claire Alain a toujours interprétée à la fin de ses concerts en souvenir de son frère. Personnellement, je joue chaque fois que je le peux - et en France aujourd'hui c'est presque un "parcours du combattant" - le très beau Choral Cistercien dont le dernier accord s'ouvre sur la lumière. Jehan Alain était très sensible au point d'écouter les bruits de la nature pour les transcrire en musique mais, par ailleurs, il était passionné de moto. À la déclaration de la guerre en septembre 1939, il fut mobilisé comme simple soldat de deuxième classe puisque, n'ayant pas le baccalauréat, il n'avait pas pu faire l'école des officiers de réserve (EOR). Il devint donc agent motocycliste et se porta volontaire pour les missions dangereuses ce qui lui valut la "Croix de guerre". Le 20 juin 1940, alors que l'armistice avait été demandé depuis trois jours, il essaya de repousser, seul, des soldats allemands qui traversaient la Loire à côté de Saumur. Ayant épuisé toutes ses munitions, il fut abattu mais les officiers allemands lui firent rendre les Honneurs militaires pour sa bravoure, ce qui reste probablement un cas d'exception.


Après la mort d'Albert Alain le 15 octobre 1971, l'orgue du "46" se dégrada et comme la maison fut vendue, Marie-Claire Alain le fit démonter et l'ensemble fut placé dans des locaux malheureusement mal protégés. Contrairement à ce que l'on aurait pu penser, personne ne s'intéressa à cet instrument unique et remarquable pour le conserver en France au titre de monument historique. Marie-Claire Alain  envisagea un moment d'accepter l'offre
de l'accueillir et de le remettre en état faite par le Musée suisse de l'orgue de Roche (http://www.orgue.ch), fondé par mon ami Jean-Jacques Gramm dont j'ai enregistré les premières pièces quand elles se trouvaient entreposées dans une grange à Essertes, près de Lausanne, il y a plus de trente ans. Mais en définitive, c'est Guy Bovet, organiste suisse aujourd'hui réputé, qui a organisé le sauvetage de cet orgue étonnant, à 4 claviers et 2395 tuyaux, grâce à l'aide de la loterie romande et de nombreuses sociétés suisses. Il a été restauré à l'identique (voir la photo sur la couverture du livre d'Aurélie Decourt) par la Manufacture d'orgues de Saint-Martin se trouvant dans le canton de Neuchâtel. C'est Guy Bovet qui l'a inauguré en Juin 1991 (on consultera avec intérêt le site : http://www.jehanalain.ch).  

Il ne faut pas s'étonner du mépris existant en France pour la conservation des orgues. J'ai écrit récemment l'histoire d'un orgue unique, à un clavier et pédalier à l'allemande, construit en 1849 par un facteur de pianos et de clavecins de Paris, né en 1809, qui s'appelait "Jean-Joseph Stein".
Or, le facteur d'instruments auquel Leopold Mozart acheta en juillet 1763 un clavecin à Augsbourg, alors qu'il partait en France avec son fils prodige, s'appelait Johann-Andreas Stein ! Il aurait donc été intéressant de faire des recherches généalogiques car il est possible que Jean-Joseph Stein ait été apparenté au facteur de clavecins d'Augsbourg.
Cet orgue, agrandi par un deuxième clavier en 1855, possède au total 12 jeux et c'est en 1982 que le Conseil municipal de la commune décida de s'intéresser à cet instrument. En 1984, les crédits furent accordés pour sa restauration par le département de l'Aube et le Ministère de la Culture. La commune reçut la confirmation qu'elle pourrait récupérer la TVA et qu'elle n'aurait à verser que 50 000 F. Le démontage des tuyaux commença mais brusquement, un an plus tard, une décision du Conseil municipal du 25 septembre 1985 annula cette restauration, probablement sous l'influence d'un nouvel arrivant dans le village. Depuis, l'orgue se dégrade et mourra probablement de sa belle mort bien qu'il ait été entièrement classé comme monument historique afin d'éviter une vente possible... (cf. Les orgues se cachent pour mourir).


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Scott Ross est né le 1er mars 1951 à Pittsburgh en Pensylvanie. Son père était journaliste et éditeur d'une petite revue de Pittsburgh. Grâce à la biographie rédigée par le facteur de clavecins Michel-E. Proulx pour son mémoire d'Histoire, on sait que son père mourut quand il n'avait que 5 ans. Il commença à apprendre le piano à 6 ans et l'orgue à 12 ans. En raison d'une scoliose, il fut obligé de porter un corset pour lui éviter d'être bossu. À 13 ans, sa mère l'emmena en France avec son frère aîné James. À Paris, il eut l'occasion de rencontrer Pierre Cochereau à la tribune de Notre-Dame et ce dernier lui conseilla de s'inscrire au Conservatoire de Nice dont il était le Directeur à l'époque. Scott Ross, en voyant une affiche pour des cours de clavecin, décida d'apprendre à en jouer et il choisit cet enseignement. Il a souvent raconté que n'ayant pas de clavecin, il avait mis des punaises sur les marteaux de son piano pour en imiter le son.  


Il serait bien sûr trop long de passer en revue toute la vie de ce très grand claveciniste. D'autant plus que le mémoire de Michel-E. Proulx est disponible sur Internet : http://www.memetics-story.com/article-7348559.html  Il faut néanmoins savoir que Scott Ross n'eut que très peu d'argent pendant son adolescence. Il vivait donc chez les uns et chez les autres mais il avait la passion du travail et de la perfection qu'il a toujours conservée. C'est à 18 ans qu'il fut invité au Château d'Assas, dans l'Hérault, où il eut un premier contact avec un clavecin ancien, ce qui a joué un grand rôle dans sa vie. De plus, l'ambiance dans le château était très conviviale et surtout pas "guindée". On lui proposa des Académies de musique ancienne ce qui lui permit de donner des leçons de clavecin et il s'attacha au Château d'Assas dans lequel il revenait tous les ans. Il acheta même une maison sur la route qui mène au château, où il est mort du Sida le 13 juin 1989 à l'âge de 38 ans. Son frère James et des amis l'assistèrent pendant ses derniers instants, comme Monique Davos et le facteur de clavecins David Ley dont il possédait un instrument à deux claviers avec lequel il avait enregistré de nombreuses oeuvres pour clavecin (il faut écouter les 2 CD produits par Erato : "Le voyage musical" volume I9, et Scarlatti - "Les plus belles sonates").  

Malgré sa courte vie, il a eu le temps de nous laisser en héritage un nombre considérable de pièces de clavecin 
de Jean-Sébastien Bach, Haendel, Couperin, Rameau et Frescobaldi, jusqu'au "Fandango" en ré mineur du Padre Antonio Soler. Ainsi que l'extraordinaire intégrale des 555 sonates de Scarlatti en 34 CD (le mot "sonate", à l'époque, signifiait des "essercizi", c'est-à-dire des exercices très beaux mais difficiles). Suivant leur caractère, toutes ces oeuvres, gravées sur CD, ont été jouées sur des instruments différents construits par les facteurs David Ley, Willard Martin, Anthony Sidey, Jean-Louis Val, William Dowd-von Nagel ou parfois par des anonymes. Il faut s'incliner devant sa volonté et son courage. Nous ne pourrons plus l'oublier !
Ce que l'on sait moins, c'est que dans les derniers mois de sa vie, la préfecture de l'Hérault avait commencé à engager une procédure d'expulsion contre lui parce que depuis son arrivée en France, il était sans papiers, sans carte de séjour ni permis de travail. Ce qui était pour Scott Ross sans importance car il vivait dans un autre monde parmi ses chats et ses orchidées comme on le rappelle dans le film "Une leçon de musique à la Villa Médicis", cité à la fin de la page "Pour les musiciens" ! Et naturellement, il ne bénéficiait pas de la Sécurité sociale pour les séjours à l'hôpital qu'il faisait régulièrement, ni pour l'achat des médicaments qui sont très chers pour le Sida. Il se soignait donc très mal.
Ses amis contactèrent la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) qui fit remarquer au Préfet le ridicule et le retentissement international que l'expulsion du territoire de Scott Ross, le plus célèbre claveciniste du XX
e siècle, allait déclencher. Avec, bien sûr, les retombées qui ne manqueraient pas d'éclabousser le gouvernement de l'époque et de supprimer toute crédibilité de la France dans le domaine musical. On n'en entendit plus parler et il put mourir en paix.

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© C. Gendre  
28 février 2013


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